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Lettre 4 quattuor / S. lefebvre

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Message par Lefebvre Sabine Sam 11 Avr - 0:42

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À peine entré dans l’Illyricum, Tibère est rappelé par une lettre pressante
de sa mère, et l’on ignore si Auguste respirait encore ou s’il avait rendu l’âme, quand
son beau-fils arriva à Nole.Car des gardes vigilants avaient été apostés par Livie pour
entourer la maison et en surveiller l’avenue, et de temps en temps on publiait des
bulletins favorables ; mais, quand Livie eut pris les mesures que lui conseillaient les
circonstances, on apprit à la fin qu’Auguste avait quitté la vie et Nero était maître du
monde.
Le premier acte du nouveau principat fut le meurtre de Postumus
Agrippa ; bien qu’il l’eût surpris sans armes, un centurion pourtant résolu eut
beaucoup de peine à l’achever. De cet événement Tibère ne dit mot au Sénat ; il
feignait que les ordres de son père avaient prescrit au tribun préposé à la garde
d’Agrippa de le mettre à mort sans délais aussitôt qu’il aurait lui-même accompli son
dernier jour. Certes, Auguste avait fait entendre bien des plaintes violentes sur le
compte du jeune homme, avant d’obtenir qu’un sénatus-consulte sanctionnât son
exil ; mais sa rigueur n’alla jamais jusqu’au meurtre d’un des siens ; et il n’était pas
croyable qu’il eût immolé son petit-fils à la sécurité d’un beau-fils. Il est plus
vraisemblable que Tibère et Livie, l’un par crainte, l’autre par une haine de marâtre,
hâtèrent le meurtre d’un jeune homme suspect et odieux. Au centurion qui,
conformément à l’usage militaire, venait lui annoncer que son ordre avait été
exécuté, il répondit qu’il n’avait pas donné d’ordre et qu’on aurait à rendre compte
du fait au Sénat. À cette nouvelle, Sallustius Crispus, confident de Tibère (c’était lui
qui avait envoyé au tribun l’ordre de cabinet), craignit qu’on le supposât coupable,
ce qui le mettrait dans une situation également périlleuse, soit qu’il fît un mensonge,
soit qu’il déclarât la vérité ; aussi prévint-il Livie qu’il serait dangereux de divulguer
les secrets du palais, les conseils des amis, les services de l’armée ; que Tibère
relâcherait les ressorts du principat, s’il renvoyait tout au Sénat ; que l’empire avait
pour condition de n’admettre d’autres comptes que ceux qui se rendent à un seul.
Cependant à Rome tous se ruaient à la servitude : consuls, sénateurs,
chevaliers. Plus était grande la splendeur de leur rang, plus ils étaient faux et
empressés ; composant leur visage pour ne pas avoir l’air joyeux au décès d’un
prince, ni trop tristes à l’avènement d’un autre, ils mêlaient les larmes, la joie, les
plaintes, l’adulation. Sex. Pompeius et Sex. Appuleius, consuls, jurèrent les premiers
fidélité à Tibère, et ce serment fut prêté entre leurs mains par Seius Strabo et par C.
Turranius, l’un préfet des cohortes prétoriennes, l’autre préfet de l’annone ; puis vint
le Sénat, puis l’armée, puis le peuple. Car Tibère laissait aux consuls toute initiative,
comme pour rappeler l’ancienne république et comme s’il n’était pas sûr de régner ;
l’édit par lequel il convoquait le Sénat en séance, il ne le fit précéder que de la
mention de la puissance tribunicienne dont il avait été investi sous Auguste. Les
termes de l’édit furent concis et le sens très modeste : il voulait prendre l’avis du
Sénat touchant les honneurs à rendre à son père, dont il ne quittait pas le corps ;
c’était la seule des fonctions officielles qu’il s’attribuait. Mais aussitôt après la mort
d’Auguste, il avait donné le mot d’ordre aux cohortes prétoriennes comme un
empereur ; il avait une garde, des armes et tout ce que comporte une cour ; des
soldats l’escortaient au Forum, des soldats l’accompagnaient au Sénat. Il envoya à
l’armée des lettres comme s’il était déjà prince ; nulle part il ne se montrait hésitant,
sauf quand il s’adressait au Sénat. La raison principale en était la crainte que
Germanicus, maître de tant de légions, d’un nombre immense d’auxiliaires alliés, et
jouissant d’une popularité étonnante, n’aimât mieux posséder l’Empire que
l’attendre. Il donnait en même temps à croire, et c’était dans l’intérêt de sa
renommée, qu’il avait été appelé et élu par la République plutôt qu’imposé
sournoisement par l’intrigue d’une femme et l’adoption d’un vieillard. Dans la suite,
on a reconnu que c’était pour pénétrer les intentions des grands qu’il avait pris ce
masque d’irrésolution ; en effet, les paroles et les mines, il les tournait en griefs qu’il
tenait en réserve.
L’ordre du jour de la première séance du Sénat fut exclusivement
consacré, selon la volonté de Tibère, aux derniers devoirs à rendre à Auguste. Le
testament du prince, apporté par les vierges de Vesta, nommait Tibère et Livie ses
héritiers ; Livie était admise dans la famille Julia et prenait sa part du nom
d’Auguste ; pour la seconde ligne, il avait inscrit ses petits-fils et arrière-petit-fils ;
au troisième rang, les premiers personnages de la cité : la plupart lui étaient odieux,
mais il usait de jactance et songeait à sa gloire auprès de la postérité.
TACITE, Annales, I, 5-8 (trad. H. Goelzer légèrement modifiée)

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Tel était à Rome l’état des affaires, quand une mutinerie éclata dans les
légions de Pannonie ; elle n’avait d’autre motif que le changement de prince, où l’on
voyait une occasion de désordres et l’espoir de tirer d’une guerre civile certains
avantages. Trois légions occupaient ensemble les quartiers d’été sous le
commandement de Junius Blaesius, qui, apprenant la fin d’Auguste et l’avènement
de Tibère, avait, soit à cause du deuil, soit en signe de réjouissance, interrompu les
exercices ordinaires. Ce fut l’origine du mal : les soldats s’émancipaient, ne
s’entendaient plus, prêtaient l’oreille aux propos des mauvaises têtes, finissaient par
souhaiter la dissipation et l’oisiveté, par se dégoûter de la discipline et du labeur. Il y
avait au camp un certain Percennius, naguère chef de claque, puis simple soldat,
effronté parleur et instruit par les rivalités entre histrions à fomenter des cabales.
Comme il avait affaire à des simples d’esprit, en peine de ce que serait après
Auguste la condition du service, il les ébranlait peu à peu dans des colloques
nocturnes ou bien vers le soir, et quand les bons soldats s’étaient retirés, il groupait
les plus mauvais sujets.
Enfin, sûr du concours de gens résolus et d’autres artisans de sédition, il
se donnait des airs de harangueur et leur demandait pourquoi ils obéissaient à la
façon d’esclaves à un petit nombre de centurions, à un plus petit nombre de
tribuns.Quand donc oseraient-ils exiger du soulagement, s’ils n’abordaient un prince
nouveau et encore vacillant avec des prières ou des armes ? Assez et trop
longtemps leur lâcheté s’était donné le tort de permettre qu’on les fît vieillir trente
ou quarante ans de service, mutilés pour la plupart à la suite de blessures. Même mis
en congé, ils ne voyaient pas la fin du service, mais campés auprès d’un drapeau, ils
subissaient sous un autre nom les mêmes fatigues. De plus, si l’on restait en vie
après avoir surmonté tant de hasards, on était traîné à l’autre bout du monde où,
sous le nom de terre, on recevait la fange des marais ou les friches des montagnes.
Eh ! oui, en lui-même le service était pénible, sans profit, dix as par jour, voilà
l’estimation qu’on faisait d’une âme et d’un corps ; là-dessus chacun devait payer
ses vêtements, ses armes, ses tentes, se racheter de l’inhumanité des centurions,
acheter les exemptions de corvées. Mais par Hercule ! coups et blessures, hivers
rigoureux, étés fatigants, guerre affreuse ou paix stérile, c’était la même chose
éternellement. Le seul remède était qu’on entrât au service à des conditions fixes :
pour solde, un denier par jour ; après seize ans de service, congé définitif ; passé ce
terme, nulle obligation de rester auprès du drapeau, et dans le même camp la prime
payée en argent. Est-ce que par hasard les cohortes prétoriennes, qui recevaient
deux deniers par tête, qui au bout de seize ans étaient rendues à leurs pénates,
affrontaient plus de périls. Il ne rabaissait nullement les gardes urbaines, mais lui,
servant dans un pays sauvage, de sa tente il apercevait l’ennemi !
La foule lui répondait par des cris et s’excitait diversement, les uns
montrant avec reproche des marques de coups, les autres leurs cheveux blancs, la
plupart les guenilles dont ils étaient couverts et leurs corps à moitié nus. Ils finirent
par en venir à ce point de fureur qu’ils parlèrent de mêler les trois légions en une
seule.L’esprit de corps les fit reculer, car chacun réclamait cet honneur pour sa
légion ; ils prennent alors un autre parti et placent ensemble les trois aigles et les
enseignes des cohortes ; en même temps ils entassent des mottes de gazon et
dressent un tribunal de manière à ce que l’emplacement attire mieux les regards.
Pendant qu’ils se hâtaient, Blaesius arriva ; il les gourmandait, essayait de les retenir
l’un après l’autre sans cesser de crier : « Trempez plutôt vos mains dans mon sang ;
le crime sera moins grave de tuer votre légat que de devenir infidèle à votre
empereur. Ou, vivant, je maintiendrai les légions dans le devoir, ou, égorgé par elles,
je hâterai leur repentir. »
On n’en amoncelait pas moins les mottes de gazon et elles s’élevaient déjà
jusqu’à hauteur de poitrine, quand, vaincus enfin par l’opiniâtreté de Blaesius, ils
abandonnèrent l’entreprise.
TACITE, Annales, I, 16-19 (trad. H. Goelzer légèrement modifiée)

Lefebvre Sabine
Enseignant(e)

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Date d'inscription : 28/03/2009

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